F. C. Ermotti: Le Alpi in movimento

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Title
Le Alpi in movimento. Vicende del casato dei mercanti migranti Pedrazzini di Campo Vallemaggia


Author(s)
Chiesi Ermotti, Francesca
Series
Itinerari
Published
Bellinzona 2019: Edizioni Casagrande
Extent
560 S.
Price
€ 60,00
by
Laurent Burrus, Historisches Seminar, Universität Zürich

L’ouvrage que Francesca Chiesi Ermotti a tiré de sa thèse, soutenue à l’Université de Genève en 2014, se situe à la croisée de deux champs de l’histoire, les migrations d’un côté et la famille de l’autre. Cette étude s’appuie sur la trajectoire de la famille Pedrazzini au XVIIIe siècle. Originaires du village tessinois de Campo, dans la vallée de la Maggia, cette dynastie de marchands « suisses » s’installe à Cassel dans le Landgraviat de Hesse-Cassel au centre du Saint Empire. La société Gaspard Pedrazzini & Fils s’y livre au commerce de produits coloniaux et connecte de cette manière les mondes. Loin de représenter un espace immobile, en marge de l’économie et de la société d’Ancien Régime, l’auteur s’attache au contraire à dresser une fresque dynamique d’une région montagnarde de la Suisse italienne actuelle. Au fil de l’organisation familiale, des mouvements fréquents, ou encore de la scolarisation de ses protagonistes, la conscience critique de l’auteur nous engage à considérer la société alpine moderne comme un laboratoire des mécanismes et des problématiques contemporains.

A l’instar des monographies qui entreprennent les premières d’explorer les communautés alpines (on pense à Harriet Rosenberg pour la vallée du Queyras ou à Pier Paolo Viazzo pour la Valsesia), les recherches de Giuseppe Mondada ont exhorté Francesca Chiesi Ermotti à poursuivre l’analyse de la mobilité mercantile depuis le Tessin. Elle se penche sur l’émigration d’une élite locale endogame dont les stratégies et la mobilisation des ressources servent de variables d’ajustement pour remédier aux déséquilibres entre le milieu alpin et le marché global. En adoptant une approche microhistorique, l’auteur donne ainsi à apprécier, comme ont pu le faire Laurence Fontaine et Luigi Lorenzetti, la diversité des archétypes migratoires.

L’ouvrage se scinde en quatre parties. La première, consacrée aux Pedrazzini de Campo, retrace l’histoire de la constitution du fonds documentaire conservé aux Archives d’Etat du canton du Tessin. S’appuyant sur un corpus de sources inédites et encore inexploitées, ce livre puise dans le fonds Pedrazzini, l’originalité d’un sujet qui tranche avec l’étude du grand négoce et de la banque protestante. La constitution du fonds résulte d’un travail de collecte dont le versement est venu récemment étoffer les archives privées du Tessin. Dépositaire de la mémoire familiale, ce fonds enracine les Pedrazzini dans leur communauté villageoise d’origine. A la richesse matérielle qui caractérise cette documentation s’ajoute celle d’un patrimoine entretenu par des figures féminines auxquelles l’émigration masculine a confié la gestion. Leurs biens témoignent non seulement d’une curieuse dichotomie urbain-rural, mais aussi de la sensibilité des membres de la famille aux influences étrangères.

La seconde partie, dévolue au pouvoir et au crédit, interroge la position sociale et le rôle de ces notables à l’échelle de la commune et du baillage. La mobilité temporaire des Pedrazzini ne constitue pas un frein à l’exercice de fonctions politicoadministratives et moins encore à leur implication dans la vie de la collectivité. Cette famille édifie sa notoriété sur la base du patronage et du mécénat religieux qui légitiment sa condition au sein de la communauté alpine. La construction du pouvoir local des Pedrazzini s’articule principalement autour de la propriété. Bien que la terre leur offre respectabilité et assise foncière, les biens-fonds servent aussi de garantie financière dans le cadre de leurs activités en Allemagne. Quant à l’administration de ces actifs dans les Alpes, elle donne lieu à une présence permanente à Campo qu’un « tournus » en Allemagne rend possible. Cette organisation est la clé de voûte de l’émigration temporaire qui caractérise la région. Si la famille Pedrazzini garde de cette manière le contrôle sur ses affaires au pays, elle sert aussi d’intermédiaire à la population migrante de la vallée.

La troisième partie se concentre sur la société de commerce Gaspard Pedrazzini & Fils, implantée en Allemagne. Après une scolarité dans leur pays d’origine et la mise en pratique de leurs connaissances chez des compatriotes, les jeunes marchands entrent dans la maison familiale à Cassel. Cette dernière étape marque l’aboutissement d’un apprentissage théorique et moral où le savoir-faire se complète par l’éveil à une conception de leur dignité. Comme pour beaucoup d’autres commerçants étrangers en Europe, l’accès à l’appartenance locale en Allemagne n’est pas un objectif poursuivi par les Pedrazzini. Les autorités municipales de Cassel mobilisent des leviers fiscaux et juridiques pour offrir à un petit nombre de marchands étrangers des prérogatives commerciales. En tirant profit de ce contexte favorable à son implantation, l’entreprise Pedrazzini apporte donc sa contribution professionnelle en échange de privilèges pour l’obtention desquels l’intégration n’est pas indispensable. Pourvoyeuse de main d’œuvre, les Alpes du Sud servent par ailleurs de bassin de recrutement pour le personnel de la boutique. Cette logique intra-communautaire dans les rapports de travail s’appuie aussi bien sur la confiance que la loyauté et constitue une garantie pour le groupe propriétaire à Campo. En effet, la recherche de main d’œuvre dans leur communauté d’origine a une incidence directe sur l’emprise que les Pedrazzini ont sur leurs employés.

La quatrième et dernière partie analyse le système de reproduction familial à l’aune des contentieux qui éclatent chez les Pedrazzini au moment où le groupe de parenté se ferme peu à peu sur luimême. Les litiges à propos de l’entreprise familiale à Cassel et de l’oratoire Saint Jean Baptiste à Campo mettent en évidence les problèmes de préservation des droits entre les héritiers. Dans le cas du commerce à Cassel, l’argumentation des requérants s’appuie d’une part sur l’investissement des animateurs du commerce et d’autre part sur l’appartenance au groupe de parenté pour justifier la propriété de la société. Aux questions matérielles se superposent des enjeux symboliques mémoriels qui transcendent les générations et dont l’écho amplifie les lignes de fractures familiales au fil du temps.

Dans un subtile mélange d’interdépendances entre deux domaines de l’historiographie et deux espaces géographiques, cet ouvrage donne à penser les échanges marchands au XVIIIe siècle sous l’angle d’une fabrique familiale des réseaux migratoires. Si le découpage spatial existe, les thèmes qui gouvernent à l’organisation du volume manifestent le souci de comprendre les différents aspects d’une réalité complexe dans laquelle le magasin de Cassel se situe dans le prolongement du village de Campo malgré la distance qui les sépare. Plus que dans l’attachement à la terre d’origine ou la trajectoire transnationale qui caractérise les membres de la famille Pedrazzini, l’originalité de cette étude réside surtout dans la corrélation entre les intérêts commerciaux et les relations familiales. Nul doute que cette étude de cas saura captiver le lecteur qui partira à la découverte d’autres dynasties commerçantes des baillages, cantons et pays alliés du Corps helvétique.

Zitierweise:
Burrus, Laurent: Rezension zu: Chiesi Ermotti, Francesca: Le Alpi in movimento. Vicende del casato dei mercanti migranti Pedrazzini di Campo Vallemaggia. Bellinzona 2019. Zuerst erschienen in: Archivio Storico Ticinese, 2020, Vol. 168 pagine 164-165.

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Archivio Storico Ticinese, 2020, Vol. 168 pagine 164-165.

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